« J'ai été recrutée à une époque où les quotas de femmes existaient. Quand j'ai passé le concours commun à l'armée de l'Air et à La Marine en 1980, seul 10% de femmes étaient acceptées dans la promo. J'ai décroché l'unique place accordée à une femme par le Commissariat de l'air. Je connaissais le milieu militaire. Ma mère a fait l'Indochine. J'étais très sportive, j'avais une licence d'anglais et une maîtrise en droit, et le concours était plutôt dédié aux juristes. J'ai découvert le monde aéronautique et il m'a tout de suite passionnée.

J'ai tenu des postes de terrain en tant que commissaire de plusieurs bases de l'armée de l'Air. Celle de Nancy était alors en pleine transformation. C'était l'époque de la guerre du Golfe. Il fallait résoudre des problématiques administratives complexes de départs, d'installation, de suivi... A Villacoublay (4000 personnes), je me suis occupée du fonctionnement, du contrôle et de la logistique de plusieurs unités - matériels, équipements, habillement, alimentation... - avec en toile de fond l'activité opérationnelle de l'armée de l'Air.

J'ai participé à des opérations extérieures. En Bosnie en 1993, dans le cadre de l'interdiction de survol de l'espace aérien du territoire, il a fallu faciliter l'installation, la vie au quotidien, résoudre les problèmes juridiques et financiers, de toutes les forces de l'armée de l'Air installées en Italie. Quelques années plus tard, je suis retournée en Bosnie. Le conflit s'était un peu apaisé. Je me suis occupée de l'installation et de la mise en oeuvre d'un certain nombre de camps et d'équipements pour le Kosovo.

J'ai eu des périodes de formation. J'ai préparé et réussi le concours de l'École de Guerre qui forme en un an le futur corps de direction des armées. Plus tard, j'ai suivi les cours du Centre des hautes études militaires (CHEM) couplé avec l'IHEDN, l'Institut des hautes études de défense nationale. C'était une année de césure dans un contexte humain très enrichissant.

J'ai travaillé à l'état-major des armées puis de l'armée de l'Air. En interarmées, j'ai mis en place des nouveaux systèmes de management, introduit le contrôle de gestion, le pilotage stratégique, avec des méthodes inspirées du civil. J'ai découvert les autres armées, leurs processus, leurs cultures, c'était passionnant ! A l'armée de l'Air, après un passage à l'inspection, je me suis occupée du système d'information ressources humaines et de la formation. Aujourd'hui, j'ai un rôle de plaque-tournante de tous les travaux de synthèses utiles pour piloter la performance de l'armée de l'Air.

J'ai été nommée au grade de général en 2010. Nous sommes maintenant deux femmes dans ce cas dans le corps des commissaires des armées. Ce n'est pas une consécration, c'est un passage obligé pour atteindre des postes à forte responsabilité décisionnelle, pour porter plus haut dans la hiérarchie et à l'extérieur un message sur l'armée de l'Air. Ma nomination change surtout le regard des autres sur moi, alors que je suis toujours la même.

Cela n'a jamais été un avantage d'être une femme. Comme dans n'importe quelle entreprise, trouver sa place en tant que femme n'est pas toujours évident. Et peut-être que parfois le fait d'être une femme m'a empêchée d'occuper tel ou tel poste à responsabilité dans les armées. Mais, c'est peut-être un mal pour un bien car j'ai fait autre chose de tout aussi enrichissant. En même temps, on me lançait : « Maintenant il va falloir faire vos preuves ! » Je pense que j'aurai à faire mes preuves jusqu'à ma retraite !

Je me suis imposée par mes compétences. Je suis un officier comme les autres. Vers 32/33 ans, je commandais des militaires bien plus âgés que moi. Au début, ils vous regardent, puis ils comprennent que vous êtes sérieuse, que vous savez les écouter, que vous travaillez, que vous êtes capable de décider. Et vous emportez l'adhésion ! Je me sens à l'aise dans le travail d'équipe, je ne brusque pas les gens. Quand il s'agit de prendre des décisions, je les prends. Quand il s'agit de sanctionner en plus ou en moins, je sanctionne. J'ai toujours eu des témoignages de sympathie lorsque je quittais un poste pour un autre et je garde le contact avec beaucoup d'anciens. Ce qui prouve que le plaisir que j'ai eu à les commander a été partagé.

Concilier ma vie de mère avec mon métier a été compliqué. Il fallait s'organiser. Mon mari, pilote de chasse, m'aidait quand il le pouvait. A chaque fois que j'étais enceinte (j'ai eu 3 enfants), on m'a fait sentir que c'était ennuyant, alors que j'ai toujours travaillé jusqu'à la dernière minute. J'ai aussi eu droit à des propos machistes. Je me souviens être allée au bureau déposer un papier quelques jours après mon accouchement. Quand mon directeur, un commissaire général, m'a vue il s'est exclamé « Ah ! vous revenez travailler ! ». Il trouvait que j'avais bonne mine et tant pis pour la durée légale du congé maternité.

Etre commissaire des armées est un métier formidable. Je pense avoir suffisamment de recul pour l'affirmer. Sa technicité, son professionnalisme sont très recherchés. Le milieu militaire dans lequel il est amené à évoluer est exigeant, fait de discipline, de rigueur et de valeurs. Il est assuré de vivre une expérience humaine très forte, de côtoyer des cultures différentes, des métiers que l'on trouve moins ailleurs, de partir à l'étranger, dans des organisations interarmées, puis de revenir dans son armée d'origine et de prendre des postes à responsabilité. Ces allers-retours font toute la richesse de ce métier. »

Dates-clés

1980 : Ecole du Commissariat de l'air à Salon-de-Provence
1985 : Adjoint de la division "restauration" à la direction du Commissariat de la force aérienne tactique à Metz, puis Chef de la division "matériels"
1990 : Commissaire de la base aérienne de Nancy Ochey
1993 : Commissaire de l'opération Crécerelle (opération Deny Flight, interdiction de survol de la Bosnie)
1994 : Commissaire de la base aérienne de Villacoublay
2000 : Opération extérieure en Bosnie, adjoint du directeur du Commissariat
2003 : Chargée de la création de la cellule de contrôle de gestion et du pilotage à l'état-major des armées, Paris
2006 : Auditrice au CHEM et à l'IHEDN
2007 : Chef du bureau des finances et du budget à l'état-major de l'armée de l'Air, Paris
2009 : Chargée de l'administration générale et des finances à l'Inspection de l'armée de l'Air
2010 : Sous-directeur des affaires générales de la Direction des ressources humaines à l'armée de l'Air, Tours.
Depuis septembre 2012 : Sous-chef performance synthèse de l'état-major de l'armée de l'Air, Paris

Copyright photo : L. Philip/ Armée de l'air