Pour quelles raisons les femmes ont-elles du mal à accéder aux plus hauts postes de la fonction publique de l'Etat ? Une enquête sociologique financée par la DGAFP permet de comprendre les raisons de ce phénomène inégalitaire et persistant.
Près de 60% de femmes, toutes catégories confondues de C à A+ travaillent dans les directions générales des ministères économiques et financiers de la fonction publique d'Etat (FPE). Or elles ne sont que 24% à occuper des fonctions de cadres supérieures et de dirigeantes. Même constat dans les directions générales des ministères sociaux où les postes d'encadrement restent occupés en majorité par des hommes alors qu'ils sont en minorité dans les échelons inférieurs.
Pourtant comme le fait observer les chercheurs de l'étude Le plafond de verre dans les ministères, * « la fonction publique apparaît souvent, au premier abord, comme un contexte a priori plus égalitaire et propice aux carrières des femmes, en raison des règles qui encadrent le recrutement, les rémunérations et la promotion professionnelle ». Or, dans la pratique, force est de constater que l'Etat n'offre pas les mêmes opportunités professionnelles aux femmes.
Pour comprendre les causes du blocage des carrières des femmes dans la FPE, les chercheurs ont questionné une centaine d'agents *. Ils se sont intéressés à leur trajectoire professionnelle, familiale et conjugale, mais aussi à leur enfance, à leur orientation scolaire, et bien sûr au choix des concours externes ou internes pour devenir ou non cadre supérieure et dirigeante, le concours de l'ENA étant le moyen le plus rapide et le plus sûr pour accéder aux hautes responsabilités.
Ils en ont notamment déduit un lien entre l'origine sociale des agents interrogés et l'accès aux postes de dirigeants : plus les femmes sont issus d'un milieu populaire, plus long et moins assuré sera leur ascension. D'autre part, petits, les garçons sont plus encouragés à suivre les filières scolaires les plus sélectives, même si l'enquête révèle des cas où les filles ont pu bénéficier d'une éducation égalitaire voire féministe, encourageante. Les femmes ont aussi tendance à choisir leurs premiers postes « par vocation » là où les hommes se montrent « motivés par la carrière ». Ce qui explique le poids des femmes dans les ministères sociaux et les postes d'expertises, alors que les hommes privilégient les administrations de Bercy et les postes de management.
Si l'ENA est considéré comme un atout majeur pour la carrière, nombreuses sont les attachées principales, titulaires d'autres concours de la fonction publique ou contractuels, qui renoncent à le passer. Difficile pour elles matériellement, financièrement et familialement (la scolarité a lieu à Strasbourg) de préparer le concours alors même qu'elles vivent en couple, ont de jeunes enfants, ont un conjoint souvent cadre lui aussi, dont le soutien est « très asymétrique ». Certaines évoquent même la crainte de le « dépasser » professionnellement. Gravir les échelons et « faire carrière » revient aussi souvent à bouger géographiquement dans les services déconcentrés. Les femmes ont plus de mal à s'y soumettre : résistance du conjoint qui lui aussi veut mener sa carrière de cadre, perte du réseau familial qui est souvent un précieux soutien pour la garde des enfants, et même peur du divorce
Sans oublier que l'accès "de gré à gré" aux postes dirigeants de la fonction publique d'Etat se fait au travers de jeux relationnels, de cooptation et de recommandation entre pairs et donc entre hommes, puisque les échelons supérieurs sont majoritairement masculins. Ce fonctionnement se vérifie surtout pour le passage en cabinet ministériel, qui de plus survient en milieu de carrière vers 30 ans, au moment même où les femmes sont ou aspirent à devenir mamans. Conscientes de ce "calendrier professionnel", les futures mères en arrivent à « planifier les grossesses entre deux postes », une contrainte qui n'existe pas chez les hommes. Quant à celles en congé de maternité, la pression est telle que certaines n'hésitent pas à revenir travailler ou à reprendre le travail à distance avant la fin de leur congé.
La conciliation travail-famille s'avère aussi bien plus problématique pour les femmes que pour les hommes. Si le conjoint peut « aider », la charge mentale et matérielle de l'organisation familiale pèse d'abord sur la femme. Et ce n'est pas le fait de déléguer le quotidien des enfants à des nourrices à domicile ou à des assistances maternelles qui va « alléger » l'esprit des femmes. Ce poids est notamment exacerbé face aux exigences de mobilité géographique ou lors de la préparation de concours internes.
Enfin, l'étude pointe du doigt un paradoxe : le déni et même "l'euphémisme" par la majorité des femmes interrogées de la réalité des inégalités professionnelles dans la fonction publique d'Etat alors même qu'elles ont été attestées et mesurées. La FPE est présentée comme protectrice contre toute forme de discrimination, et notamment lorsqu'on la compare à l'entreprise privée. Si inégalités il y a, elles sont expliquées par les femmes par les charges familiales, les normes sociales et relèvent plutôt de « l'extérieur de l'administration ». Quant au sexisme, les femmes qui en ont fait l'expérience le jugent « anecdotique » ou s'estiment assez armées pour y faire face. Ce qui n'empêche pas certaines d'entre elles à mettre en place des « stratégies de virilisation et de neutralisation de leur féminité » pour s'adapter à la norme masculine des postes dirigeants.
Cette étude sociologique est parue début octobre 2014, à quelques semaines du Bilan 2013 des nominations de femmes à des postes à hautes responsabilités dans la fonction publique qui souligne que 33% de femmes ont été nouvellement nommées dans la fonction publique d'Etat dans des emplois de lencadrement supérieur et dirigeant.
* L'enquête a été menée auprès d'une centaine (deux tiers de femmes, un tiers d'hommes) de cadres dirigeant.e.s et supérieur.e.s dans deux directions générales des ministères économiques et financiers (le Budget, les Comptes publics, l'Économie, l'Emploi, la Fonction publique, l'Industrie et la Réforme de l'État) d'une part, et dans deux directions générales des ministères sociaux (la Famille, les Relations sociales, la Santé, la Solidarité, les Sports, le Travail et la Ville ) d'autre part.Fonction publique : des inégalités de salaire toujours aussi élevées
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