Danielle Prat-Moullec est une des rares femmes à occuper le poste de directeur général des services d'une collectivité territoriale. A Miramas, près de Marseille, cette quinquagénaire à la forte personnalité a dû prouver sa légitimité dans un environnement plutôt machiste.
« J'avais 45 ans quand je suis entrée dans la fonction publique territoriale. Après un DESS en Management des collectivités locales à Sciences Po Lyon que j'ai eu à 40 ans, j'ai travaillé chez KPMG secteur public. J'ai toujours été sensible aux faits politiques. Et j'avais vraiment envie d'intégrer une collectivité.
Je voulais devenir directrice générale des services, non pas pour être chef, mais parce que j'ai du mal à travailler avec quelqu'un que je ne respecterais pas et qui serait injuste. Je suis très indépendante. Pour arriver à ce poste, il a fallu que je prenne des responsabilités. Comme je suis reconnue travailleur handicapé, je n'ai pas passé de concours et j'ai été très vite titularisée. J'ai d'abord été directrice des finances à Saint-Fons (69), puis à Saint-Priest (69). J'ai ensuite intégré la communauté de communes d'Amplepuis-Thizy comme DGA, puis la mairie du 1er arrondissement de Lyon comme directrice générale des services, avant de rejoindre Miramas * en 2008.
On m'avait prévenue de la situation difficile que j'allais y rencontrer. C'est une ville qui a beaucoup souffert d'alternances politiques un peu dures. Un certain nombre de directeurs généraux s'y étaient succédé. Quand je suis arrivée, il fallait tout reconstruire, restructurer les services, les professionnaliser, mettre en place des procédures, instaurer plus de transparence et d'équité. Le challenge m'a plu. En quatre ans et demi, les choses ont bougé. Mais ce n'est pas fini, il y en a encore pour des années.
J'ai dû me frotter au machisme des gens du Sud. D'ailleurs, ils ont tout fait pour me faire peur : j'ai été agressée, menacée, on a brûlé ma voiture, cela n'a pas été une expérience facile. Je dérangeais certaines petites "habitudes". Mais j'ai tenu le coup. Je suis quelqu'un de vaillant, de têtu dans le bon sens du terme, de résistant. Sans doute à cause de mes origines franc-comtoises... Maintenant ça y est : j'ai fait ma place, je suis respectée et légitimée dans mon poste.
Quand on est une femme, il faut tout le temps se faire reconnaître, en particulier dans les réunions où l'on est sous-représenté. On nous en demande aussi dix fois plus. On n'a pas intérêt à échouer alors que l'on admet plus facilement qu'un homme ait des lacunes. Sur certaines fonctions, ce dernier considère que vous n'allez pas exercer votre rôle et votre autorité comme lui. Et que la technique lui est réservée. Par exemple, impossible qu'une femme sache choisir une tractopelle. Alors qu'il est possible de l'acheter... sur catalogue !
Je suis contre les quotas (1). Il vaudrait mieux faire évoluer les mentalités. Chez nous, il s'est trouvé que l'on a surtout recruté des femmes cadres. Aujourd'hui, elles sont majoritaires. Personnellement, je n'ai jamais fait de différence entre les deux sexes.
On dit de moi que je suis une femme de caractère. En fait, je suis quelqu'un de très direct. Si j'ai quelque chose à dire, je le dis. Je ne suis pas hypocrite. Je vois assez facilement à qui j'ai affaire. Je crois aussi beaucoup à l'exemplarité. Je travaille énormément, je suis exigeante avec moi-même et donc avec les autres. Ils savent qu'ils peuvent compter sur moi, je suis disponible dans la mesure du possible, j'essaye toujours de répondre à leur question. Il ne faut pas laisser les gens sans réponse.
Etre DGS c'est exercer un métier très solitaire. Personne ne vous encourage, ni ne vous dit merci et pas grand monde reconnaît votre travail. C'est frustrant. Et puis, on doit composer avec les politiques, avec les cadres, avec les agents, tirer, pousser, motiver, réconforter... On porte tout. Il faut une grande résistance à la pression, savoir se motiver tout seul et croire en ce qu'on fait. Moi j'y crois !
J'ai choisi d'être à côté des agents plutôt que des élus. Ce qui fait que contrairement à d'autres DGS, je ne participe ni aux inaugurations, ni aux manifestations de la commune. Je pense que Monsieur le Maire attend de moi que les services fonctionnent et non pas de me voir aux événements. Le samedi et dimanche, sauf exception, me sont donc réservés. Je lis beaucoup de polars américains, je m'intéresse à l'histoire et aux civilisations, j'aime la nature, me promener. Je pars en week-end dans ma famille ou en Bretagne dont est originaire mon mari.
Me lancer dans la politique ? Non, je milite pour la neutralité du service public. Je ne suis dans aucun camp et je ne suis pas "la copine du maire" comme certains le prétendent. J'ai été recrutée pour mes compétences et non par mes relations. Et je ne suis pas là pour faire du prosélytisme. En dehors du travail chacun fait ce qu'il veut. Mais une fois franchie la porte de la mairie, je considère qu'il n'est pas utile de dévoiler ses opinions. »
* 650 agents, 25 800 habitants
(1) La loi du 12 mars 2012 inscrit un quota de 40 % de nomination de femmes d'ici à 2018 dans l'encadrement supérieur de l'Etat, des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière. Cette obligation de nomination est assortie de pénalités financières en cas de non respect.
Mise à jour : Danielle Prat est depuis septembre 2013 Secrétaire Générale de SAN Ouest Provence, un syndicat d'agglomération regroupant les communes d'Istres, Fos-sur-mer, Miramas, Grans, Cornillon/Confoux et Port-Saint-Louis-du-Rhône.
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